Lettre de l’Industrie du Sucre de La Réunion • Juin 2018
EDITO
Le pari de l’avenir
L’année 2017 aura été un tournant marquant pour la filière Canne-Sucre réunionnaise, à plusieurs titres. Je pense naturellement en premier lieu à la fin des quotas sucriers et à la libéralisation du marché du sucre en Europe. Ce défi a été relevé avec succès et de manière collective ! Et ce, grâce à l’action menée de concert par tous les acteurs de la filière, planteurs, industriels, partenaires, et en particulier au soutien majeur de l’Etat et de l’Europe.
Réjouissons-nous que l’industrie sucrière des DOM bénéficie désormais d’un dispositif spécifique, adapté à ce nouveau contexte économique du secteur sucrier européen. Ce dispositif offre une visibilité à long terme à l’ensemble de notre filière ultramarine et nous permet d’affronter sereinement ce bouleversement de grande ampleur. 2017, c’est aussi la signature du volet B de la Convention Canne, pour la période 2017-2021, qui a pu se faire grâce aux garanties obtenues et aux efforts consentis conjointement.
Planteurs et industriels bénéficient, grâce à cette Convention, de garanties fortes, indispensables dans ce nouveau contexte post-quota de marché libéralisé. C’est la meilleure convention signée depuis 30 ans, en particulier pour les planteurs. En effet, cette Convention leur assure une garantie d’écoulement de la totalité de leur production, un engagement de prix sur cinq ans assorti d’une augmentation de leur revenu à la tonne de canne livrée, ce qui a représenté en 2017 une augmentation totale de
revenu agricole à hauteur de 7,2 millions d’euros. La Convention Canne a été signée par tous les représentants des syndicats agricoles, ce qui n’était pas arrivé depuis 1996. En 2017, la filière Canne-Sucre a ainsi montré sa capacité à faire face à des chocs extérieurs d’ampleur, tout autant que sa résilience et l’engagement de ses acteurs au service du territoire.
Aujourd’hui, certains défis majeurs doivent encore être relevés. Nous devons, au fur et à mesure, obtenir l’exclusion des sucres spéciaux des concessions tarifaires accordées par l’Europe aux pays tiers dans le cadre des nombreux accords commerciaux qu’elle négocie. Alors que se négocie la future PAC, il est également vital pour nos filières agricoles que les programmes POSEI se poursuivent sans aucune réduction budgétaire.
Pour cela, nous devons continuer à nous montrer unis : rester en ordre de marche, c’est toujours faire progresser notre filière. Atout majeur de la filière Canne-Sucre réunionnaise, sa gouvernance paritaire est un modèle de gestion partagée qui en assure le fonctionnement global et aussi technique.
En 2018, les épisodes climatiques tels que Berguitta ou Fakir sont là pour nous le rappeler : il faut savoir se préparer à la tempête et pouvoir réparer les dégâts, le cas échéant. Et c’est bien au sein des différentes instances que sont le CPCS, le CTICS et les CMU que sont débattues et décidées les actions les plus appropriées à mettre en oeuvre.
Philippe Labro
Président du Syndicat du Sucre de La Réunion
La filière Canne-Sucre réunionnaise :
une gouvernance paritaire
La filière Canne-Sucre réunionnaise est bien une affaire collective.Elle est très concrètement gérée en responsabilité partagée par les planteurs et les industriels et ce, à tous les niveaux. A ce titre, elle fait figure de pionnière, plus particulièrement depuis 2007 qui scelle la mise en place de l’interprofession. Les voix des représentants des planteurs et celles des industriels y
comptent chacune pour moitié. Résultat : les décisions stratégiques, techniques et réglementaires font l’objet d’une concertation qui aboutit à un projet défini ensemble. Ce dossier spécial dresse le portrait des instances de décisions interprofessionnelles et aide à comprendre le mode de fonctionnement au sein de la filière.
LE COMITE PARITAIRE INTERPROFESSIONNEL DE LA CANNE ET DU SUCRE
Un poste de pilotage
Coprésidé par un planteur et un industriel, le Comité Paritaire de la Canne et du Sucre ( CPCS ) est le lieu de dialogue et de construction des questions liées au développement de la filière.
Le CPCS, c’est un peu la capitainerie de la filière Canne-Sucre réunionnaise ; le lieu où se prennent les décisions stratégiques. A titre d’exemple, c’est là que sont débattues les Conventions Canne, qui définissent l’ensemble des engagements contractuels entre les planteurs et les industriels.
Cette organisation interprofessionnelle dispose de statuts qui assurent l’équité entre les parties.
Concrètement, le CPCS est coprésidé par un planteur et par un industriel. Il compte douze membres titulaires ( et douze suppléants ) désignés pour moitié par le collège des producteurs de canne et pour l’autre moitié par celui des industriels.
L’Assemblée Générale ordinaire se réunit au moins quatre fois par an, ne délibère valablement qu’en présence de la moitié au minimum des membres de chaque collège et les décisions sont prises à la majorité absolue des membres présents.
Pour leur part, les Assemblées Générales extraordinaires,qui valident notamment les modifications des statuts ou du règlement intérieur, ne délibèrent valablement qu’en présence d’au moins trois-quarts des membres. Et pour qu’une décision soit valable, elle doit être approuvée par chacun des collèges à la majorité des deux-tiers.
Dans ces conditions, arriver à un accord entre producteurs de canne et industriels n’est pas seulement souhaitable, c’est tout simplement indispensable pour la bonne marche des opérations.
LE CENTRE TECHNIQUE INTERPROFESSIONNEL DE LA CANNE ET DU SUCRE
Une mécanique de précision
Cette instance, elle aussi paritaire, assure un rôle essentiellement technique : elle a pour mission principale le suivi des livraisons de canne et la mesure de leur richesse en sucre. Elle participe par ailleurs à l’accompagnement des planteurs et conduit à la mise en oeuvre de nombreuses actions de développement agricole, essentielles à la filière
Depuis 1952, le Centre Technique interprofessionnel de la Canne et du Sucre (CTICS) est la salle des machines de la filière Canne-Sucre à La Réunion. Etablissement reconnu d’utilité publique, sa mission principale est de déterminer la richesse en sucre des cannes que les planteurs de l’île livrent aux sucreries de Bois-Rouge et du Gol.
Cette mission est fondamentale : la richesse en sucre permet de calculer le revenu versé à chaque planteur. En bon arbitre, le CTICS doit donc être garant d’une transaction juste.
Il est présidé en alternance par un planteur puis par un industriel. En outre, sa composition est totalement paritaire. Les instruments de mesure et les techniques d’échantillonnage sont donc validés conjointement par les planteurs et les industriels.
Les techniciens du CTICS participent de plus, au sein des Pôles Canne, à l’encadrement administratif et technique des planteurs : immatriculation des planteurs, déclarations de surfaces, optimisation de l’utilisation des produits
phytosanitaires, demandes d’améliorations foncières, prévisions de récolte, gestion des aides au transport, suivi des zones difficiles…
Enfin, le centre technique est le fournisseur des boutures de cannes utilisées par les planteurs via un réseau de pépinières. Depuis 2004, des essais en plein champ permettent de toujours améliorer la productivité à l’hectare. Ce travail est réalisé en étroite collaboration avec eRcane, le Cirad et la Chambre d’Agriculture.
LES COMMISSIONS MIXTES D’USINES
Les cinq vigies
Chaque bassin cannier de l’île à la sienne ! Elles aussi paritaires, les Commissions Mixtes d’Usine ( CMU ) ont pour attribution principale la gestion des rapports entre chacune des sucreries et les planteurs. Elles veillent à la bonne organisation des approvisionnements en canne durant cette aventure au long cours que représente chaque campagne sucrière. Elles veillent aussi au respect des décisions prises dans le cadre du CPCS.
Il existe cinq CMU : Beaufonds, Bois-Rouge, Savanna, Grand-Bois et Le Gol. Elles sont la courroie de transmission de la filière, son organisation territoriale, l’armature qui fait face aux embruns.
Faire appliquer les règles est la première mission de ses membres, qui sont élus pour cinq ans (dernière élection en 2017); des règles sont définies de façon paritaire par les représentants de chaque profession au CPCS et au CTICS…
sur proposition des CMU justement.
Les membres des CMU sont en permanence sur le terrain. Ces représentants des planteurs et des industriels sont aussi les premiers lanceurs d’alerte. Avant chaque période de coupe, c’est par exemple en CMU que les représentants
des planteurs et des industriels se concertent pour décider la date du
démarrage de la campagne : en fonction de la météo, des observations faites dans les champs, du niveau de préparation des usines… ce sont les CMU qui rythment les campagnes, car c’est sur le terrain que l’on sait à quel moment la canne est prête !
Un incendie ravage un champ de canne ? La CMU décide des mesures de solidarité à mettre en place au profit du planteur. Idem en cas de catastrophe naturelle – sujet hautement d’actualité : ce sont les CMU qui font remonter les demandes en fonction de la réalité des situations sur le terrain.
Elles contrôlent quotidiennement les opérations de mesure de la richesse et proposent toutes les améliorations utiles ou nécessaires dans le régime des apports, lors de chaque campagne. Elles se prononcent également sur les modalités de répartition des quotas entre planteurs.
Elles sont saisies au premier stade de tout litige ou réclamation dans les rapports entre industriels et planteurs ; le CPCS ne statuant, le cas échéant, qu’en second recours.
Leur présence incessante sur le théâtre des opérations permet le plus souvent un règlement amiable des litiges.
Une filière
prête pour de nouveaux défis
Borer et ver blanc, sécheresses et cyclones, effondrement des cours du sucre et nouvelles règlementations : depuis deux siècles, entre crises agricoles et crises économiques, la filière Canne-Sucre réunionnaise a parfois plié mais n’a jamais cassé ! Aujourd’hui, elle est prête pour de nouveaux défis.
Qu’on se le dise : après plus deux siècles alternant crises et succès, la filière Canne-Sucre réunionnaise n’entend pas courber l’échine.
Deux récents défis en font encore la preuve : la fin des quotas sucriers libéralisant le marché du sucre en Europe et l’ouverture du marché aux pays tiers, qui s’est soldée par une augmentation des accords commerciaux avec ces pays. Ces nouveaux challenges, la filière est en passe de les relever. Et elle le fait d’autant mieux que la Commission européenne est parfaitement consciente de son rôle structurant sur le territoire réunionnais.
Pour autant, la vigilance reste de mise, d’une part, car ces accords se multiplient et sont chaque fois l’occasion d’âpres négociations pour réussir à exclure nos sucres
spéciaux des concessions commerciales accordées par Bruxelles et maintenir un débouché essentiel à la production réunionnaise sur ce marché de niche, d’autre part, car le maintien du budget du POSEI est également crucial pour nos économies.
Reste que le match se joue aussi à domicile. Au-delà des joutes européennes, désormais d’une importance capitale, la filière doit ainsi relever le gant au niveau local. Avec une nouvelle Convention Canne qui a permis notamment d’augmenter le prix de la tonne de canne, chaque acteur de la filière est aujourd’hui en mesure de se mobiliser et d’anticiper pour préparer l’avenir. Sérénité et détermination permettront d’affronter les nouveaux enjeux qui déjà se profilent.
Toujours progresser
Côté champs, protéger le foncier cannier reste une priorité. Chaque parcelle perdue, en friche ou abandonnée à l’urbanisation, affaiblit la filière tout entière. D’où l’importance de conserver cette capacité de production pour l’économie de l’île. Il faudra par ailleurs continuer à renforcer la compétitivité des exploitations agricoles afin d’augmenter le revenu des planteurs. Cela passe par le développement de nouvelles variétés, mais aussi par l’amélioration des itinéraires techniques et l’expérimentation de nouvelles méthodes de travail. Sur ce dernier point, les chercheurs ont des pistes ; la plus prometteuse concerne l’étude du génome de la canne. Alors que le temps de sélection d’une variété est encore de quinze ans aujourd’hui, l’objectif est de trouver des marqueurs génétiques qui permettront de réduire drastiquement ce délai. Les planteurs disposeront ainsi plus rapidement de nouvelles variétés correspondant à leurs besoins et tenant compte des évolutions climatiques.
Côté industrie, le premier défi est d’améliorer sans relâche les performances : productivité, fiabilité des équipements, innovation technique des usines. Le second est de rapatrier le maximum
de valeur ajoutée à La Réunion : en conditionnant davantage dans l’île et en parvenant à raffiner localement tout le sucre brut en sucre blanc. Un projet de raffinerie à La Réunion est à l’étude actuellement. Sur la partie commercialisation, l’enjeu est de conquérir de nouveaux marchés de niche et de trouver des solutions innovantes pour que le sucre réunionnais corresponde toujours davantage aux attentes des clients et soit mieux reconnu au niveau européen. De nouvelles gammes de sucres spéciaux répondant aux besoins de l’industrie agroalimentaire sont ainsi à l’étude : du sur-mesure pour des clients très spécifiques. Une autre piste : mieux mettre en avant l’origine et la qualité « Réunion » et obtenir de certains distributeurs, l’engagement de les valoriser.
Plus que jamais, la filière Canne-Sucre de La Réunion a confiance en l’avenir : si les défis ne manquent pas, la volonté commune de chacun des acteurs de faire progresser la filière, et donc La Réunion, demeure une garantie de succès sur le long terme.